La quête
3 décembre 2025 | Uncategorized
En tapant l’un de mes premiers textes : “Un royaume à ta démesure” je redécouvre que le thème de la quête était déjà présent bien avant “L’ange des séparations”. Et je crois en fait qu’il ne ma jamais quittée :
Extrait de ce roman terminé en 1972 :
« Tu ne m’empêcheras pas de rire, Olivier. De rire de toi, de rire de vous tous et du monde entier. Sais-tu seulement ce que c’est que le rire ? dis-le ! Avoue que pour toi tout doit être sérieux. De la naissance jusqu’à la mort, la vie n’est qu’une vaste entreprise, une fumisterie. Pourquoi accepteriez-vous si facilement qu’un être meure ? Rien n’est jamais irrémédiable pour qu’il faille se résigner. Rien, pas même la mort, surtout pas celle des autres.
« Chacun porte en soi un paysage sacré qu’il convient d’enrichir au jour le jour, en y laissant pousser des fleurs, en y traçant des chemins, les chemins ou les routes selon le temps. Et si tu veux que Dieu existe, et bien Dieu sera ce paysage. Le monde est peut-être une réalité, mais une réalité dissimulée par mille apparences qui ne demandent qu’à être détruites. Un miroir, tout au plus. Un miroir derrière d’autres miroirs édifiés par l’homme afin que la seule image visible du monde soit celle qu’il sache comprendre. Je ne veux pas m’en contenter, je veux comprendre les autres images, celles de mon inconscience et celles de la conscience d’autrui. Les autres ne sont peut-être qu’un rêve, mais est-ce à la vie de rompre ce mirage, et que faire lorsqu’elle n’est plus assez forte contre le rêve ? Vivre, n’est-ce pas pénétrer tout à coup la conscience des autres pour se forger une mémoire ? Mémoire. Mémoire d’or qui résonne en moi. Je veux être mémoire, mémoire des autres.
« Et la mort dans tout cela… et la mort ? Elle se conduit comme un train ravageur qui traverse la campagne. Les arbres ne savent pas qu’il s’agit de la mort, Les oiseaux ne le savent pas non plus, et ils continuent de chanter parce que le soleil demeure et que tout ailleurs, d’autres oiseaux chantent. Ils ne savent pas, personne ne sait. Et le train efface la conscience. Il passe devant le monde, et le monde est changé par comme lorsqu’un rideau s’abat sur une scène de théâtre. Un décor s’efface pour nos yeux trop faibles mais le décor ne cesse d’exister. On croit que le paysage de chaque individu disparaît ainsi un jour ou l’autre. Mais que signifie cette mort ? Que signifie la mort de Laurent ? Je ne connais son paysage ; je l’ai vu. Le paysage qu’il portait en lui est aussi le mien. J’ai vu la mer se rouler de vagues en vagues sur des coquillages blancs. J’ai entendu la musique de Laurent et le chant de la mer se mêler pour construire un hymne à la joie. Je ressens la chaleur de ce paysage brûlant. Je m’y incruste et m’y installe. C’est un feu qui me nourrit. Je sais que bientôt je pourrai y pénétrer. Je traverserai une frange invisible, tendue entre ces deux réalités. À l’église, vous aviez tous des masques. Moi seul n’en portez pas. Clown insolent qui pleure, et qui rit, qui accroche à son visage une figure hilare. Voici la vérité : vous pleuriez et c’est vous qui sans le savoir, cachiez votre regard. Et c’est vous qui, sans le vouloir, désiriez la mort de Laurent. Ce que vous pouviez être drôles ainsi ! Oh ! ce tombeau ignoble où vous accepteriez votre propre mort !
« Rappelle-toi cette phrase de Nerval. Attends… oui, c’est cela : Je ne demande pas à Dieu de rien changer aux événements, mais de me changer relativement aux choses, de me laisser le pouvoir de créer autour de moi un univers qui m’appartienne, de diriger mon rêve éternel au lieu de le subir. Alors, il est vrai, je serai Dieu. Voilà la vérité ! Les hommes subissent leurs rêves. Très lentement, je construis le mien. Peut-être ai-je créé Laurent. La grande nuit n’est-elle que celle de ta mort, Laurent ? Ou bien, es-tu une parcelle de moi jaillie sur le monde en dérive ? Jour après jour, je t’ai créé en moi, et pourtant je ne parviens pas encore à t’atteindre. Je t’ai fait inaccessible. C’est la rançon de chaque être face à celui qui l’a créé. Musique. Tu es musique. Et je te poursuivrai au fond de chaque chant. Musique.
(…)
« Il me faut partir en quête. Un jour, sans doute, je te rencontrerai. Nos deux univers se superposeront. Un jour… de cela, je suis assuré. Et puisqu’aucune route ne m’a été enseignée, j’irai au hasard, selon le gré de mon inconscience.
….